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Pourquoi les Japonais ne portent pas de parfum
Au Japon, la notion même de parfum telle qu’elle est perçue en Occident ne s’est pas implantée comme une habitude quotidienne. Cette singularité tient aux racines culturelles et spirituelles profondément ancrées dans la société nippone, où l’olfaction se révèle bien plus qu’une simple coquetterie. Le Japon a accueilli l’encens via des échanges avec la Chine et l’Inde au VIe siècle, où son usage fut d’abord exclusivement associé aux pratiques religieuses bouddhistes, notamment dans les temples. L’encens servait alors à la purification de l’espace et à la création d’une atmosphère propice à la méditation, contrastant avec le caractère plutôt ornemental et extérieur du parfum en Occident.
Le parfum s’avère souvent trop envahissant pour la sensibilité japonaise, qui valorise une esthétique de la subtilité et de la retenue. Ce goût pour la discrétion olfactive rejoint la quête d’une harmonie évitant les excès sensoriels. L’odorat ne s’exprime pas via des senteurs puissantes au contact direct du corps, mais par le biais d’une pratique raffinée, presque cérémoniale, qui redéfinit totalement l’expérience du parfum.
- Origines religieuses et spirituelles de l’encens au Japon
- Rejet du parfum comme élément décoratif corporel
- Préservation d’une esthétique de la retenue sensorielle
- Approche culturelle privilégiant l’intimité et la suggestion
- Association de l’aristocratie avec la complexité des senteurs d’encens
Occident | Japon |
---|---|
Utilisation directe du parfum sur le corps | Encens utilisé pour l’atmosphère et les cérémonies |
Senteurs souvent fortes et marquantes | Préférence pour des senteurs subtiles et éphémères |
Parfum accessible à tous | Encens maîtrisé dans un cadre élitiste |
Ce qu’ils utilisaient à la place à l’époque Heian
Durant l’époque Heian (794-1185), l’aristocratie japonaise a développé toute une gamme de pratiques olfactives alternatives au parfum. Les nobles, femmes et hommes, ne portaient pas ce dernier mais favorisaient une approche où l’encens tenait un rôle central dans la vie quotidienne et culturelle. Leur aspiration n’était pas la simple sensation agréable : c’était l’expression d’une sensibilité affinée, souvent mêlée à la poésie et à l’identité sociale.
On utilisait notamment des bois d’encens précieux, issus de régions comme Awaji ou d’Asie du Sud-Est, que l’on faisait brûler dans des brûle-encens spécialement confectionnés. Par ailleurs, les nobles déposaient parfois de la poudre parfumée, appelée kōko, dans des sachets ou placards pour parfumer délicatement leurs vêtements et chambres. Cette approche délicate prenait le pas sur l’idée d’un parfum déposé directement sur la peau.
- Brûlage de bois d’encens rares pour créer une ambiance
- Utilisation de poudres parfumées discrètes dans les vêtements
- Préférence pour senteurs naturelles et issus de la nature
- Liaison avec la littérature et les arts, notamment via Murasaki Shikibu
- Incarnation de la distinction sociale par la maîtrise du raffinement olfactif
Pratique | Fonction | Exemple |
---|---|---|
Encens en fusion sur charbon | Créer une atmosphère intérieure propice aux échanges poétiques | Scènes décrites dans « Le Dit du Genji » |
Sachet de poudre parfumée (kōko) | Parfumer délicatement les vêtements et textiles | Offert en cadeau entre nobles |
Gardiennage de parfums dans des boîtes en laque | Préserver l’intensité des senteurs rares | Objets précieux de la cour |
Comment ils parfumaient leurs vêtements et objets
La tradition japonaise ne se limite pas au simple brûlage d’encens. À l’époque Heian et au-delà, la parfumerie ancestrale incluait un véritable rituel de parfumage des vêtements, accessoires, et objets personnels. Les nobles s’appuyaient sur des sachets de poudre odorante, fabriqués à partir de bois d’encens finement broyé mélangé à des herbes aromatiques. Ces sachets, appelés kanzō, étaient déposés dans les plis des kimonos ou dans les coffres de rangement.
Le parfumage s’étendait aussi aux objets comme les éventails, les carnets d’écriture et même la soie des tentures, où les senteurs, diffusées en douce, créaient une atmosphère raffinée et poétique propice aux échanges intellectuels. Ce soin apporté aux matières témoignait également de la sensibilité esthétique caractéristique des élites de l’époque.
- Utilisation de sachets parfumés dans les vêtements
- Application de bois d’encens en poudre sur les objets personnels
- Parfumer les maisons et pièces spécifiquement avant les cérémonies
- Diffusion progressive et subtile des senteurs
- Respect du cycle naturel de la senteur sans excès
Technique | Objet concerné | Effet recherché |
---|---|---|
Sachet parfumé dans les plis du vêtement | Kimonos | Diffusion lente et discrète du parfum |
Bains parfumés avec de la poudre d’encens | Vêtements, peaux | Rafraîchissement et purification |
Parfumerie d’objets d’écriture | Carnets, papiers | Créer un environnement propice à la création |
L’encens comme marque de raffinement
L’encens s’impose comme un véritable symbole de raffinement dans le Japon médiéval, notamment dès la période Heian. Au-delà de l’aspect olfactif, il incarne une posture spirituelle et sociale. Utilisé par l’aristocratie mais aussi dans les temples, l’encens procure un lien entre le visible et l’invisible, entre le tangible et la méditation. Cette valeur symbolique se retrouve dans les œuvres littéraires de nobles dames telles que Murasaki Shikibu, où il devient un point d’ancrage émotionnel et sensoriel.
L’encens est également intimement lié à la notion de saisons, d’éphémère, illustrant la délicatesse du moment présent. Sa manipulation requiert une attention minutieuse, signe éloquent d’un savoir-faire respecté et admiré. Les bois d’encens utilisés à la cour étaient d’une rareté extrême, certains étant multi-centenaires et provenant des routes commerciales stratégiques allant du sud-est asiatique à la péninsule coréenne.
- Représentation du raffinement et de l’élégance immatérielle
- Usage cérémonial et symbolique dans le bouddhisme et la noblesse
- Intégration aux arts et à la poésie
- Valorisation du temps, de l’éphémère et de la nature subtile
- Prestige lié à la rareté des bois d’encens
Bois d’encens | Origine | Caractéristique | Utilisation principale |
---|---|---|---|
Aloeswood | Sud-est asiatique | Rare, bois résineux parfumé | Brûlage et cérémonie |
Sacré d’Amanoyae | Corée | Arôme doux et profond | Jeux olfactifs et méditation |
Kohdoh d’Awaji | Japon | Essence fine et esthétique | Atmosphère noble dans la cour |
Un art oublié : le kōdō
La pratique du kōdō, littéralement « voie de l’encens », s’élève à un rang d’art majeur dans la tradition japonaise, au même titre que le sadô (cérémonie du thé) et l’ikebana. Le terme « kô » renvoie à la senteur ou à l’encens, tandis que « dô » signifie la voie ou le chemin. Ce double sens porte la portée spirituelle et philosophique de cette discipline raffinée.
Ce rituel est une forme de méditation olfactive, où le silence et l’écoute sont rois. La cérémonie consiste en un ensemble de gestes précis, d’une grande sobriété, orchestrés par un maître spécialisé. La pièce est préparée avec rigueur, l’atmosphère exemptée de toute autre odeur, chaque élément est choisi pour nourrir la concentration et l’éveil intérieur. Le brûle-encens est constitué de cendres tamisées sur lesquelles repose le charbon, lui-même soigneusement incisé en formes évoquant les cinq éléments naturels. Ce détail méticuleux symbolise l’harmonie de l’univers entier dans cette pratique.
Parmi les multiples facettes du kōdō, les jeux olfactifs tiennent une place centrale. Ils stimulent la mémoire, la reconnaissance et la sensibilité au travers d’épreuves ludiques mais exigeantes. Le Genji-kō, par exemple, tire son nom du célèbre roman de Murasaki Shikibu et demande aux participants de deviner l’origine et la qualité de différentes senteurs dans un silence quasi sacré.
- Méditation olfactive et voie spirituelle
- Gestes codifiés et encens hautement ritualisés
- Jeux olfactifs : défi sensoriel et intellectuel
- Cérémonie en silence et espace sans odeur parasite
- Symbolique des cinq éléments dans la préparation
Élément | Symbole | Rôle dans le kōdō |
---|---|---|
Bois | Nature et vivacité | Source de la senteur, essence physique |
Feu (charbon) | Transformation et chaleur | Développement de l’arôme |
Terre (cendres) | Stabilité et support | Maintien du charbon |
Air | Propagation et inspiration | Sensibilité à l’odeur |
Espace | Silence et vide | Concentration et méditation |
Ce qu’il en reste aujourd’hui au Japon
De nos jours, le kōdō reste un art rare et réservé à une élite, tant en raison de la complexité de son apprentissage que du coût des bois d’encens précieux. Maîtriser cette pratique demande souvent plusieurs décennies, sous la tutelle de maîtres émérites assurant la transmission rigoureuse du savoir. Malgré sa rareté, le kōdō continue d’être célébré au Japon, symbole d’une culture raffinée où la sensorialité s’inscrit dans un cadre historique et philosophique.
Les vertus spirituelles de l’encens dans le kōdō ne se limitent pas à la simple appréciation olfactive : purification de l’esprit, aiguillage des sens, lutte contre la solitude intérieure, et stimulation de l’intellect en sont des composantes essentielles. L’art du kōdō propose une expérience méditative profonde, un moment rare où l’individu, en silence, renouvelle son lien avec lui-même et les autres.
Le raffinement et la poésie du Japon se retrouvent également dans ses arts décoratifs liés à l’encens. Pour ceux qui souhaitent inviter cette élégante tradition dans leur intérieur, la décoration japonaise s’épanouit à travers des objets inspirés par ces esthétiques : The Art Avenue propose notamment de magnifiques œuvres qui reflètent l’harmonie délicate des éléments japonais. Un souffle d’histoire et de culture pour habiller un espace de vie moderne tout en honorant une ancienne tradition olfactive.
- Transmission rigoureuse par quelques maîtres spécialisés
- Codification historique par Sanjônishi Sanetaka et Shino Sōshin
- Deux grandes écoles : Oie-ryû (artistique) et Shino-ryû (spirituelle)
- Dimension psychologique et spirituelle des cérémonies
- Présence discrète mais persistante dans la culture contemporaine
École | Approche | Fondateur | Caractéristique majeure |
---|---|---|---|
Oie-ryû | Artistique et esthétique | Sanjônishi Sanetaka | Jeux olfactifs et élégance |
Shino-ryû | Spirituelle et méditative | Shino Sōshin | Pratique intérieure et ouverture |